Un citoyen du monde patriote
Né à Strasbourg en 1929 et, de ce fait, élevé dans le souvenir des souffrances de l’Alsace entre 1870 et 1919, Jean Kahn avait conservé le souvenir des prières pour la République française récitées à la Synagogue du quai Kléber avant 1939. Il ne put pas, à cause de la Seconde Guerre mondiale, y faire sa bar mitsva. Suite à la destruction de ce temple par les nazis, il fut témoin de la pose de la première pierre de la nouvelle Synagogue de la Paix, de la visite officielle du président de la République René Coty sur le chantier de celle-ci et de sa consécration solennelle en 1958.
Toute sa vie durant, Jean Kahn a vécu une immense passion pour la France. Elle reposait, d’abord, sur un sentiment de reconnaissance. La France avait, en 1791, fait des Juifs des citoyens à part entière, et ce avant les autres nations européennes. Les Israélites alsaciens représentaient alors la quintessence du judaïsme français. Cette appartenance était symbolisée par Cerf Beer (1726-1793), le “préposé général de la nation juive d’Alsace”. Il incarnait un courant éclairé dont l’Abbé Grégoire – malgré certains travers -, Gaspard Monge et Nicolas de Condorcet furent les représentants. En décembre 1989, Jean Kahn assista, à l’invitation du président de la République François Mitterrand, au transfert des centres de ces trois grandes personnalités au Panthéon.
Deux ans plus tard, en 1991, le bicentenaire de l’émancipation des Juifs de France était célébré comme il se doit lors d’un colloque organisé par Jean Kahn, alors président du C. R. I. F., à Strasbourg. La manifestation se déroula en présence de François Mitterrand.Des personnalités de l’envergure de Simone Veil et de Robert Badinter y prirent la parole. Cependant, les souffrances vécues par les Juifs français entre l’Affaire Dreyfus, ayant éclaté en 1894, et le régime de Vichy rendaient impératif de montrer comment un officier français natif de Mulhouse avait été accusé d’espionnage pour le compte de l’Allemagne des Hohenzollern parce qu’il appartenait aux adeptes de la religion mosaïque. Zadoc Kahn (1839-1905), Grand Rabbin de France et ancêtre de Jean Kahn, fut parmi les premiers Dreyfusards. En 1994, année du centenaire du début de l’Affaire Dreyfus, Jean Kahn suscita la tenue d’une exposition, tout comme celle de colloques à Mulhouse et à Paris.Il fut aussi de ceux qui entourèrent Jacques Chirac, alors maire de Paris, pour l’inauguration d’une statue du capitaine Alfred Dreyfus.
Au printemps 1995, Jacques Chirac fut élu président de la République. Son amitié déjà ancienne avec Jean Kahn, attestée notamment par des dizaines de lettres échangées entre eux, fut renforcée à la suite de sa déclaration du 16 juillet 1995 lors de la commémoration annuelle, à Paris, de la Rafle du Vel d’Hiv. À cette occasion, le nouveau chef de l’État fut le premier à reconnaître la pleine et entière responsabilité du régime dit de Vichy dans la déportation des Juifs de France vers les camps de la mort à partir de 1942. Par bonheur, des Français habités par une vraie conscience morale sauvèrent nombre de vies. Honorés du titre de Justes parmi les Justes des Nations grâce à l’Institut de Yad Vashem, ils furent aussi les héros d’une impressionnante cérémonie, le 2 novembre 1997, à Thonon-les-Bains.Furent célébrés, en présence de Catherine Trautmann alors ministre de la Culture, soixante-dix Justes de Haute-Savoie.
Amoureux de la langue française, Jean Kahn l’utilisait notamment durant ses rencontres avec Shimon Peres. Ce dernier parle parfaitement cet idiome. Il fut leur outil de communication à de nombreuses reprises, tant en France qu’ailleurs. Les notes prises par Jean Kahn en 1992 à Jérusalem le rappellent.